INTERVIEW. Corinne se bat depuis de nombreuses années contre l’EM/SFC (Encéphalomyélite Myalgique / Syndrome de Fatigue Chronique). Aujourd’hui, à 56 ans, elle a appris à vivre avec la maladie et voir les choses du bon côté. Rencontre.
- Présentez-vous :
Je suis Corinne, j’ai 56 ans et j’ai un fils de 27 ans. Je souffre d’un EM/SFC (Encéphalomyélite Myalgique / Syndrome de Fatigue Chronique) depuis une dizaine d’années environ. J’ai l’habitude d’expliquer que mon corps ne fabrique plus assez d’énergie pour vivre normalement. L’épuisement, la fatigabilité et les troubles cognitifs ne me permettent plus de travailler depuis plus de 3 ans.
- Comment avez-vous été diagnostiquée ?
Le diagnostic pour le syndrome de la fatigue chronique a été évoqué une première fois par un neurologue, puis confirmé par un médecin hospitalier. J’ai subi toute une série d’examens pour éliminer toute autre pathologie susceptible d’expliquer cet épuisement et les différents symptômes.
- Qu’est-ce que vous avez ressenti ?
Au début, j’ai été un peu effrayée. Puis j’ai connu une phase de déni. Je faisais comme si ça allait passer jusqu’au jour où j’ai pris conscience de l’ampleur de mes difficultés et j’ai été obligée d’arrêter de travailler. Il y a eu ensuite beaucoup de révolte, j’ai vécu le syndrome de la fatigue chronique comme une injustice. Je suis passée aussi par une phase de colère, colère contre le syndrome de la fatigue chronique mais aussi contre moi. J’ai eu besoin d’aide pour faire le deuil de ma vie d’avant et me construire peu à peu une nouvelle vie. J’ai eu une prise en charge pluri-disciplinaire pendant 3 ans en hôpital de jour ainsi qu’un suivi en centre anti-douleurs.
- Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Je me sens mieux, même si ma vie reste très limitée. Le syndrome de fatigue chronique est toujours là, et la situation de handicap qui l’accompagne aussi. Il subsiste une grande vulnérabilité que je gère avec la méditation pleine conscience, l’auto-hypnose ou bien encore avec la sophrologie. J’ai appris, aussi, à mieux gérer cette énergie qui manque, à répartir le peu d’activités que je peux avoir sur la journée ou la semaine, à ne pas dépasser mon enveloppe d’énergie pour éviter ce malaise post-effort qui est si difficile à vivre.
- Qu’est-ce que la maladie a changé pour vous ?
Tout ! J’ai été obligée de tout revoir dans ma vie : arrêter mon activité professionnelle, déménager pour avoir un appartement accessible par ascenseur et davantage adapté à ma situation de handicap. J’ai organisé l’aménagement de cet appartement en tenant compte de cette énergie qui me manque tant. Je ne peux pas conduire plus de 10 minutes alors je me déplace en transports communs et je me suis habituée à demander une place assise car il m’est impossible de rester debout plus de quelques minutes.
J’ai essayé de mettre en place des rituels, des astuces pour compenser mes troubles cognitifs avec le syndrome de fatigue chronique. Moi qui lisais chaque jour pendant 1 à 2 heures, je ne peux plus lire du tout. Ma vie sociale a été bouleversée : impossible de passer une soirée entre amis, d’aller voir un film au cinéma ou de faire les boutiques. Quand je veux passer un moment avec quelques amis, je privilégie les endroits calmes, accessibles en transports en commun, où je peux m’asseoir facilement… Compliqué d’avoir une vie sociale ! Je faisais de la marche nordique chaque semaine et de grandes ballades à pied ou à vélo. Mais ce n’est plus possible. J’arrive à marcher 500 m sur terrain plat, voire moins ou pas du tout certains jours, mais rarement plus. En résumé, j’ai dû renoncer à tout ce je faisais avant.
Et un jour, j’ai découvert de nouveaux possibles et j’ai pu commencer à me construire une nouvelle vie. Le travail sur moi m’a aidée à mieux me connaître et à accepter ma situation de handicap. J’ai également découvert le plaisir de peindre, d’écrire, de créer de manière générale. Cela me donne une nouvelle liberté, différente de celle que j’avais avant, mais qui suffit à m’apporter beaucoup. Mon regard a changé !
J’ai appris à apprécier les plaisirs simples, comme par exemple, m’asseoir sur un banc au soleil du matin et écouter le chant des oiseaux. Faire une petite balade à pied pour prendre l’air me remplit de bonheur. Je suis bien loin des grandes randonnées que je faisais, mais je suis heureuse d’avoir la chance de pouvoir le faire car de nombreux malades du syndrome de fatigue chronique sont si sévèrement atteints qu’ils sont alités.
- Êtes-vous engagée ?
Oui, j’aime les arts plastiques et surtout l’écriture ! Cette passion m’est venu en découvrant l’art-thérapie et tous les bienfaits apportés par la création. J’ai également découvert l’écriture et j’ai pour habitude de dire aujourd’hui que les mots me libèrent et me portent. C’est devenu un besoin quotidien, mais je suis obligée de m’adapter à mes troubles cognitifs.
Au début, j’ai commencé à écrire pour préparer un témoignage, puis j’ai continué d’écrire jusqu’à publier un livre en auto-édition “Mon petit abécédaire du Syndrome de Fatigue Chronique”. J’écris des textes, encore très souvent en lien avec le syndrome de fatigue chronique, mais j’essaie d’explorer d’autres thèmes. Je partage d’ailleurs mes textes sur ma page Facebook et sur mon blog. Je m’amuse aussi à en mettre certains en images et musiques et je les propose sous la forme de petites vidéos. Je fais tout cela parce que cela donne un sens à mon quotidien et également dans le but de faire connaître et reconnaître le syndrome de fatigue chronique, encore et encore.
Je suis également engagée en tant que bénévole au sein d’une association de malades. Aider les autres malades à mon tour me permet de me sentir utile. J’ai trouvé dans la colère et la révolte qui m’avaient envahie au début de la maladie, le moteur pour agir et m’engager. Être bénévole, c’est aussi se faire une nouvelle place dans la société. J’ai envie d’aller au-delà de l’engagement en tant que bénévole et de devenir patient-expert.
- La maladie a-t-elle renforcé votre relation avec vos proches ?
Le syndrome de fatigue chronique est une maladie qu’il est difficile de comprendre soi-même et qu’il est encore plus difficile de comprendre pour les proches. Beaucoup de personnes se sont éloignées et j’ai pris moi-même mes distances avec d’autres. Mais c’est vrai que la relation a été renforcée avec ceux qui sont bienveillants avec moi.
- Quels conseils donneriez-vous à un patient ?
Ne pas rester isolé, oser demander de l’aide, prendre soin de soi et apprendre tout doucement à vivre avec ce nouveau corps, ces nouvelles libertés, ce nouveau quotidien. Essayer de gérer au mieux cette énergie qui manque et être attentif aux signaux envoyés par son corps pour ne pas aggraver le syndrome de fatigue chronique.
- Quel message souhaitez-vous délivrer à la communauté de We are Patients ?
Et si notre maladie pouvait devenir une force…!