INTERVIEW. Margaux a 23 ans. Elle est actuellement étudiante à Bordeaux et souhaite devenir infirmière. À 15 ans, elle a été diagnostiquée de la maladie de Crohn, avant d’être diagnostiquée de la spondylarthrite ankylosante à 17 ans.
- Présentez-vous :
Je m’appelle Margaux. J’ai vécu la plupart de mon enfance sur le Bassin d’Arcachon, dans le sud-ouest. Aujourd’hui, je suis étudiante en 3ème année d’école d’infirmiers à Bordeaux. Je suis atteinte de la maladie de Crohn, qui fait partie des MICI (Maladies Inflammatoires Chroniques de l’Intestin) depuis 7 ans et de Spondylarthrite Ankylosante depuis 5 ans.
- Comment avez-vous été diagnostiquée ?
J’ai commencé à ressentir les premiers symptômes de la maladie début juillet 2011, juste après avoir passé mon Brevet des Collèges, j’avais alors 15 ans. J’ai ressenti de violentes douleurs abdominales, des épisodes de diarrhées pouvant aller jusqu’à 7 fois par jours, une perte d’appétit et de poids ainsi qu’une fatigue extrême. Je suis allée voir mon médecin traitant qui ne voyait pas ce que cela pouvait être. J’ai par la suite réalisé une échographie, puis un scanner qui ont révélé la présence d’une possible maladie de Crohn. Je suis allée consulter un gastro-entérologue qui a réalisé une coloscopie début octobre 2011 et a affirmé ce diagnostic. Je m’estime chanceuse par rapport à la courte durée entre le début des symptômes et la pose du diagnostic. Je sais que certaines personnes vivent dans l’errance diagnostique et que cela est compliqué.
J’ai eu de la chance d’être diagnostiquée à peine plus de 3 mois plus tard.
Tout s’est enchaîné très vite par la suite, les traitements corticoïdes qui ont suffit un moment, mais très vite, mon état s’est dégradé de nouveau. J’ai dû subir une première chirurgie en juillet 2012 avec ablation de 35 cm d’intestin grêle puis une seconde intervention en mars 2013 avec ablation de 20 cm supplémentaires. Cependant, l’été qui a suivi, les symptômes revenaient de plus en plus intensément. Ma gastro-entérologue de l’époque était dépassée par mon état et m’a donc adressé à un confrère. Devant une coloscopie « normale », il a suggéré que cela devait être psychologique et que je devais penser à me faire aider. Je me sentais alors incomprise et mes symptômes empiraient. En octobre 2013, j’étais dénutrie, je ne pesais plus que 52kg pour 1m76, j’ai donc été hospitalisée en médecine interne, ou l’on m’a alors posé une chambre implantable afin d’être nourri artificiellement par perfusion à domicile.
J’ai peu à peu repris des forces et je suis sortie de cet engrenage infernal. Les médecins ont par la suite décidé de mettre en place un traitement immunosuppresseur à partir de janvier 2014. Depuis, je suis en rémission de la maladie sous ce traitement en perfusion toutes les 6 semaines.
- Qu’est-ce que vous avez ressenti ?
Je dirais que je me suis sentie perdue au début, lorsque j’ai ressenti les premiers symptômes. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait et surtout pourquoi cela tombait sur moi. J’ai alors subi les traitements, les hospitalisations, la douleur, les explorations, les chirurgies… Cela était très dur pour moi.
Quand on a 17 ans, on veut vivre sa vie d’adolescente, avec ses amis, avoir des préoccupations de son âge…
Je n’ai quasiment pas été en cours durant les trois années de lycée qui ont suivi. J’ai bénéficié de cours à domicile de la part de certains professeurs qui avaient accepté de venir, dont particulièrement un professeur d’histoire qui m’a beaucoup soutenu à cette époque. J’ai donc passé mon Bac en 2 fois, 3 épreuves en juin puis 3 épreuves en septembre. J’ai été très fière d’obtenir mon Bac avec mention, cela était pour moi l’aboutissement, la récompense de tant d’années de souffrance.
- Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Aujourd’hui, je me sens mieux. J’arrive à mieux me défaire de l’entrave qu’est la maladie, même si elle ne se fait pas oublier très longtemps ! Depuis que je suis en rémission, j’ai pu suivre une formation d’auxiliaire de puériculture puis par la suite, la formation d’infirmière que j’effectue actuellement. Seulement, je cache ma maladie comme quelque chose de honteux dont je ne pourrais parler à personne. J’ai peur d’être considérée différemment, de repousser les gens.
Seule ma famille et quelques amis proches sont au courant mais tant que je le peux, j’essaie de vivre aussi normalement que possible à l’extérieur.
Peut-être est-ce une erreur de ne pas en parler, cela ne montre pas le courage dont nous faisons preuve au quotidien pour vivre et non survivre.
- Qu’est-ce que la maladie a changé pour vous ?
La maladie a changé mon rapport aux autres et je dirais aussi qu’elle m’a rendue plus indépendante, plus libre, plus dégagée vis-à-vis du monde qui m’entoure.
Parallèlement, je crois aussi que mon besoin de faire des expériences, de faire des projets, de voyager, de partager, de vivre en somme, prend de plus en plus de place.
J’arrive peu à peu à entrevoir ce qu’est une vie normale, même si c’est une adaptation de tous les jours, ou l’imprévu n’est malheureusement pas permis.
- Votre hygiène de vie a-t-elle changé ?
Mon hygiène de vie a radicalement changé du point de vue de l’alimentation depuis plusieurs années. Ayant toujours des diarrhées malgré la rémission, je suis obligée, du moins lorsque je ne suis pas chez moi, d’adapter mon alimentation. Je ne déjeune jamais le matin, je mange très peu le midi et toujours « sans résidus », le tout en prenant « mes pilules magiques », l’IMODIUM. Je peux en prendre 4 à 8 par jours, afin de ne pas devoir courir aux WC. Je suis consciente que ce n’est pas la meilleure façon de faire, mais je ne me vois pas être au travail, auprès d’un patient en train de refaire son pansement, et devoir le planter au beau milieu du soin.
- Êtes-vous engagée ?
Je ne suis pas engagée, néanmoins, je consulte les avancées et actions sur la maladie par le biais de l’AFA (Association François Aupetit). Je fais également partie d’un groupe de soutien et de partage entre patients atteints de Maladie de Crohn et de Rectocolite Hémorragique sur Facebook.
- La maladie a-t-elle renforcé votre relation avec vos proches ?
Oui, je dirais que cela a renforcé mes liens avec mes parents, notamment avec ma maman qui était et est encore très présente pour moi. Nous avons vécu l’annonce, les traitements, les chirurgies, les coups durs presque en vase clos. Il y avait nous, et il y avait les autres. Nous avons toujours pris les décisions ensemble, ma maman était présente à chaque consultation, à chaque examen… La maladie nous a vraiment rapprochées. Pour ce qui est des amis, je n’en avais pas beaucoup à l’époque, mais ils m’ont soutenu à leur manière.
Aujourd’hui, je me rends compte qu’en parler à mes amis a été libérateur et cela renforce encore plus notre amitié. Ils me comprennent mieux et je peux être moi-même.
- Quels conseils donneriez-vous à un patient ?
Je sais que cela est plus facile à dire qu’à faire, mais je lui conseillerais de ne pas renoncer à sortir, à faire ce qu’il aime, à faire des études ou à travailler. Je pense qu’il est important de croire en ses capacités, de croire qu’il y a une vie à construire ou à reconstruire, certes autour de la maladie, mais qu’elle est bien là. Je lui conseillerais d’être entouré de sa famille, de ses amis, car on est plus forts à plusieurs. Le soutien est un moteur contre les aléas de la maladie. On en bave tous à un moment donné, on est abîmé, stressé, épuisé, déprimé… Mais le plus important, c’est de savoir remonter la pente et de ne jamais cesser de vouloir plus, d’être plus qu’une simple maladie !
- Quel message souhaitez-vous délivrer à la communauté de We are Patients ?
Par mon témoignage, mon objectif est de mettre en lumière le quotidien d’une personne atteinte de MICI. C’est une maladie qui touche à l’intimité, faisant parti de ce que l’on appelle « le handicap invisible », qui par conséquent ne se voit pas et dont nous n’osons pas parler. Je voulais également dresser un portrait peut-être un peu dur mais néanmoins réel de mon quotidien. Certes, nous sommes forts et nous gardons l’espoir d’avancées médicales pour l’avenir, mais en attendant, c’est un combat de tous les jours, chacun se battant avec ses propres armes.
Je pense qu’il faut en parler, toujours plus, sans tabou, pour permettre une meilleure compréhension de la maladie et une meilleure acceptation par la société.