INTERVIEW. Joannic vit en Bourgogne avec sa femme et ses deux enfants. Ce père de 45 ans a été diagnostiqué d’une myocardite à cellules géantes, suite à de nombreux arrêts cardiaques consécutifs. Pour le sauver, une seule solution : la transplantation. Rencontre avec ce miraculé au parcours médical atypique.
- Présentez-vous :
Je m’appelle Joannic et j’ai 45 ans. Je suis marié depuis 20 ans. Je suis originaire du Nord de la France. Je suis directeur d’association dans le secteur médico-social et culturel, en milieu semi-rural. J’ai toujours été passionné par ce métier qui demande un dévouement quasi sans limite.
Avec mon épouse, nous avons vécu de grandes aventures, accomplis et réussis des épreuves importantes avec notamment l’adoption de nos 2 enfants, à chaque fois dans des pays difficiles où régnait guerre civile ou tensions diplomatiques.
Nous vivons plutôt sainement, avec une alimentation variée et équilibrée, un peu d’activités sportives, sans excès, ni risques inconsidérés.
- Pouvez-vous revenir sur votre parcours de santé ?
Une nuit, mon cœur s’est arrêté pendant mon sommeil, sans aucune douleur. Ma femme a senti que quelque chose se passait. Elle a tout de suite procédé au massage cardiaque et m’a réanimé (je précise qu’elle n’est pas dans le milieu médical). Elle a immédiatement appelé les secours et a dû me réanimer une deuxième fois avant leur arrivée. Ensuite, beaucoup d’événements se sont enchaînés dès mon admission à l’hôpital de ma ville : plusieurs arrêts du cœur consécutifs, pose d’un pacemaker et 15 jours plus tard, œdème aux poumons. J’ai été transféré en extrême urgence dans un hôpital en région parisienne, puis au pôle cardiologie de l’hôpital Pitié Salpêtrière à Paris.
Après plusieurs semaines en survie grâce à une assistance circulatoire (non-mobile), plusieurs opérations puis la pose d’une assistance circulatoire d’oxygénation extra corporelle (ECMO), les médecins ont enfin réussi à découvrir ce que j’avais : une Myocardite à Cellules Géantes. Maladie auto-immune très rare, dont le seul espoir de guérison étant l’immunodépression et la transplantation cardiaque. Dans ma famille, il n’y avait aucun antécédent et je n’avais eu aucun signe avant-coureur.
- Comment avez-vous vécu l’annonce de votre greffe ? Et l’attente ?
L’enchaînement des événements entre l’hôpital de ma ville et la Pitié Salpêtrière s’est fait à la fois très vite, mais également très lentement, en tout cas pour moi, car j’étais très faible, alité et ma vie ne tenait qu’à un fil ou plutôt à une prise électrique. Lorsque le cardiologue est venu nous annoncer qu’il fallait me greffer rapidement, ma femme et moi-même avons pris cela comme une délivrance, une porte de sortie de l’enfer dans lequel je me trouvais.
Rien n’était fait tant que le greffon n’était pas trouvé et la transplantation effectuée. Les médecins m’ont informé que j’étais inscrit sur la liste de super-urgences, en position N°1. Ils ont ensuite dit à ma femme que s’il n’y avait pas de greffon avant la fin du week-end, il y avait peu de chance que je survive.
J’ai été inscrit sur la liste un jeudi soir. Dans la nuit du vendredi au samedi suivant, j’étais greffé, soit à peine une trentaine d’heures après. L’attente a été à la fois longue et rapide. Je sais que je suis un miraculé, un rescapé.
- Quel impact la greffe a-t-il eu sur votre vie ? Et vos proches ?
Cette « aventure », cette épreuve, ce « marathon », comme me l’a souvent dit un aide-soignant quand j’étais en réanimation, a changé considérablement ma façon de vivre, et bien entendu, celle de mes proches également. D’un point de vue alimentation, même si nous mangions sainement, il y a des aliments que je ne peux plus manger, ou que je dois cuire différemment, et un certain nombre de choses auxquelles je dois faire attention. Toute ma famille s’est donc mise à mon régime pauvre en sel, en graisses, et contrôlé en sucres.
Ensuite, notre rythme a changé, même si souvent, le quotidien reprend le dessus. Nous relativisons davantage, nous prenons plus de distance avec les tracas matériels, nous nous protégeons et nous essayons de profiter des moments où nous sommes ensemble. Cette épreuve a rapproché un certain nombre de personnes autour de nous et en a éloigné d’autres. Et ce ne sont pas forcément ceux à qui l’on pense qui se situent dans la bonne direction. La greffe m’a montré, et nous a montré, à ma femme et mes enfants, combien il était important de profiter de ses proches, de prendre soin de soi, de son corps et de profiter de la vie. Elle peut être très courte. Depuis ma greffe, nous voyons les choses différemment et nous nous adaptons à mon rythme et à mes possibilités.
- Y a-t-il des choses que vous ne pouvez plus faire et que vous regrettez aujourd’hui ?
Aujourd’hui, je suis un peu diminué par rapport à ce que je faisais avant. Le traitement médical à certains effets secondaires qui jouent sur le moral ou sur le physique. Les cardiologues qui me suivent m’ont prévenu et m’ont dit : « Attention, pas de stress et prenez soin de vous, de votre coeur ». Aujourd’hui, je n’exerce plus le métier que je faisais, je le regrette et en suis également soulagé car c’était une activité très prenante, stressante, envahissante. Au quotidien, je fais attention à beaucoup de choses et ce n’est pas compatible avec le métier que j’exerçais. Au-delà de mon activité professionnelle, je me dois, et par respect pour le donneur de ce greffon et sa famille, prendre soin de moi, et éviter au maximum les risques. Je me protège pour bricoler ou jardiner, pour me promener dans les lieux que je fréquente, que ce soient les endroits fermés ou ouverts, également l’hiver ou l’été.
- Quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?
Je suis serein par rapport à mon travail. Je me sens encore fragile et parfois comme un funambule qui veut avancer mais doit maintenir son équilibre pour ne pas chuter. Même si mon rythme n’est plus celui qu’il était, je me dynamise et positive le plus possible. J’ai la chance d’être très bien entouré par mes proches. Je me sers de la méditation, de séances de relaxation et de lectures.
- Quels sont vos projets à court et long terme ?
Qu’ils soient à court, moyen ou long terme, je veux les partager avec ma femme et mes enfants. Si je peux aujourd’hui faire des projets, c’est grâce à eux, et également au donneur, sa famille et le personnel de l’Hôpital Pitié Salpêtrière.
Parmi ceux déjà programmés, des vacances, des voyages, et des travaux pour notre maison. Plus personnellement, je veux retrouver la forme que j’avais avant ma greffe et ainsi être plus résistant à l’effort voire même me surpasser.
- Quel message souhaitez-vous transmettre aux proches de personnes greffées ou transplantées ?
Leur présence est indispensable. Que ce soit dans l’attente d’une greffe ou après l’opération, les patients ne doivent pas être seuls. Se sentir entouré, accompagné, soutenu et aidé est ce qu’il y a de plus important. Ce combat ne peut se faire seul. Certes, ce n’est pas facile pour les proches de personnes greffés ou en attente de l’être. Ils ont la lourde tâche de supporter les sauts d’humeur, les moments de faiblesse. Subir une transplantation est souvent perçu comme une seconde naissance avec ses joies et ses difficultés. Il faut qu’ils aient en confiance envers les médecins. La recherche médicale a fait d’énormes progrès et il y a de grandes compétences dans notre système de santé.