MALADIES CHRONIQUES. Elles écrivent un livre pour expliquer la spondylarthrite, l’endométriose et la fibromyalgie à leurs enfants !

INTERVIEW. Anabelle et Gaelle sont deux mamans atteintes de maladies chroniques (spondylarthrite, endométriose et fibromyalgie). C’est au cours d’une crise particulièrement douloureuse que l’idée d’un livre pour enfants aidant à expliquer leurs douleurs a germé. Mêlant leurs compétences artistiques et professionnelles, les deux mamans ont créé « Krrronik, la mystérieuse Mal-à-partout de ma maman ».

 

  • Présentez-vous

Gaëlle : Je m’appelle Gaëlle, jeune femme de bientôt 32 ans (le temps passe si vite !), atteinte d’un rhumatisme inflammatoire depuis l’âge de 13 ans survenu suite à un choc psychologique.

Anciennement dans la fonction publique territoriale, je me suis récemment mise à mon compte ce qui me permet de mieux jongler entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle (eh oui, deux enfants ça demande du temps !).

Anabelle : Moi c’est Anabelle. Je suis Éducatrice de Jeunes Enfants de formation. J’intervenais auprès des familles de différentes manières, mais toujours en termes d’accompagnement à la parentalité. Je suis aussi apprentie-clown, couturière du dimanche, illustratrice en devenir, maman et belle-maman. Je suis atteinte d’endométriose, de fibromyalgie et spondylarthrite ankylosante. Je ne peux plus travailler auprès des familles depuis environ un an.

  • Comment avez-vous été diagnostiquées ?

Gaëlle : Mon diagnostic a été très long à poser, oscillant selon les médecins, les hôpitaux et les crises entre rhumatisme psoriasique / polyarthrite rhumatoïde / spondylarthrite ankylosante… J’ai mis du temps à me détacher d’une étiquette pour ne finalement retenir que les douleurs et le quotidien de la maladie. Aujourd’hui je me présente comme une jeune femme atteinte d’une Spondylarthrite ankylosante en rémission (et non sévère), avec atteintes périphériques.

Anabelle : Wooow… Pour l’endo, cela a été très long et fastidieux : 8 ans où les gynécologues m’ont fait croire que je n’avais rien et que tout était dans ma tête… Après 5 ans de psychothérapie, ma psy m’a enfin fait entendre que tout ce que je décrivais (saignement, règles de 3 semaines, douleurs) ne pouvait pas être provoqué psychologiquement. J’ai donc réussi à trouver un médecin qui entende mes souffrances à ce moment-là.

Pour la spondylarthrite, j’ai longtemps été dans le déni de mes douleurs, pensant qu’elles étaient liées à l’endométriose. Arrivée à un stade où je souffrais quotidiennement et où la fatigue était vraiment difficile, mon médecin traitant m’a envoyé consulter des rhumatologues. Après un an et demi de recherches en tout genre, pensant que tout venait des lombaires, j’ai enfin passé une IRM du bassin. On y voyait – entre autres – des scléroses dans les articulations sacro-iliaques, le diagnostic était tombé.

  • Qu’avez-vous ressenti ?

Gaëlle : Enormément de frustration, de découragement, de lassitude… Du fait de la lenteur du diagnostic et d’un nombre important de praticiens rencontrés, et du haut de mon adolescence, je sentais une colère profonde et une immense fatigue. J’ai longtemps pensé que j’étais « folle », que les douleurs étaient seulement dans ma tête. Pas évident de passer son adolescence dans ce climat…

Anabelle : Pour l’endométriose, j’ai eu très peur de ne pas pouvoir avoir d’enfant. J’ai mis longtemps avant d’enlever les mots « dans ma tête » qui étaient gravés profondément en moi…

Concernant la spondylarthrite, j’ai d’abord été soulagée qu’on mette des mots sur mon ressenti… Que tout cela n’était pas « dans ma tête », qu’il y avait bel et bien autre chose en plus de la fibromyalgie. Puis un mois ou deux après, j’ai eu énormément de colère, c’était tellement fort, cela me prenait au corps. Un jour, tout est sorti sous forme de crise de nerfs où j’ai cru devenir folle. Mais finalement, la colère avait juste besoin de sortir…

  • Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?

Gaëlle : Comme je le disais plus haut, j’ai bénéficié d’une rémission depuis la naissance de mon fils il y a de cela 3 ans. J’ai eu beaucoup de mal à y croire, mais c’était bien réel. J’ai ainsi pu arrêter tout traitement de fond, et la douleur est devenue réellement épisodique. J’ai également pu me remettre au sport… En octobre dernier j’ai connu ma première « vraie » poussée depuis l’accouchement, et je vis désormais au jour le jour, dans l’attente de voir si la maladie est bien de retour ou simplement en arrière-fond.

Anabelle : Aujourd’hui, je suis un traitement (biothérapie) qui me soulage beaucoup, car la douleur était insupportable jusqu’alors : je ne pouvais plus dormir, parfois quasiment plus marcher, etc. J’arrive à mieux gérer ma douleur, mais je ne peux toujours pas faire le moindre effort sans en ressentir de grandes conséquences sur mon corps. Je ne peux donc pas reprendre mon travail d’éducatrice. Je me sens dépossédée d’une partie de moi-même, car j’étais quelqu’un de très dynamique.  Mais j’apprends à écouter mon corps, à vivre avec cette maladie… Je suis sur le chemin !

Concernant l’endométriose, cela va beaucoup mieux ! J’ai été opérée, j’ai pu avoir ma petite fille il y a 4 ans.  La maladie est stable et ne me dérange que peu au quotidien.

  • Qu’est-ce que la maladie a changé pour vous ?

Gaëlle : Beaucoup de choses… En tant qu’adolescente malade, je n’ai pas connu l’insouciance des jeunes « non malades ». J’étais constamment amenée à réfléchir avant d’agir, à me demander si je pouvais faire telle ou telle chose. J’ai dû arrêter le sport, et également la musique que je pratiquais en classe à horaires aménagées. Difficile de dire « aurevoir » à un quotidien. Les études et l’entrée dans le monde professionnel m’ont demandé également certains ajustements, ne serait-ce que de devoir aménager son emploi du temps avec les rendez-vous médicaux / les journées de perfusion / les arrêts maladie pour crise inflammatoire. J’ai réussi à occuper un poste à responsabilité, mais le coût physique et psychique a sans doute été un peu trop élevé.

Anabelle : Eh bien, j’apprends à prendre soin de moi ! J’essaie de ne plus porter de choses trop lourdes psychologiquement…. Et physiquement aussi ! J’essaie de trouver ma voie, ma voix, ma place, et de me réconcilier avec mon corps. Je suis limitée dans mes mouvements, mais je laisse encore plus de place à ma créativité ! Je pense que cette situation m’invite à vraiment mettre en place le précepte Carpe Diem, car on ne sait pas de quoi demain sera fait…

  • Etes-vous engagées ?

Gaëlle : Je ne suis pas engagée dans des associations de malade, mais je m’estime engagée dans ma vie envers les gens que j’aime 😊

Anabelle : J’essaie de l’être oui ! Dans mes dessins, dans mon travail (je travaille pour une association), auprès des gens que je côtoie et sur les réseaux sociaux… Et j’essaie de l’être sur différents sujets : la maladie bien sûr, mais également le féminisme, l’éducation, l’écologie…

 

 

  • Parlez-nous de vos projets

Gaëlle : Le grand projet actuel est l’autoédition d’un album pour enfants, permettant d’aborder la question des douleurs chroniques. Ce projet, mené avec Anabelle, a vu le jour au courant de l’automne suite à la crise que j’ai vécue et qui m’a clouée au lit pendant plusieurs jours. J’ai alors fait face à l’incompréhension de mon fils, âgé de 3 ans. Cette même incompréhension que j’avais déjà vue dans les yeux de ma belle-fille au cours des dernières années, lorsque je vivais une crise. Après plusieurs recherches d’albums qui nous permettraient de parler de cela à nos enfants et face au manque existant, Anabelle et moi-même avons décidé de le créer : c’est ainsi que Krrronik est née !!

Anabelle : Pour compléter les propos de Gaëlle, nous avons décidé de continuer à travailler ensemble autour d’albums jeunesse… Nous venons de lancer notre petite maison d’édition indépendante, « A Ti(t)re d’Elles », pour créer des livres pour enfant sur des sujets sensibles et/ou tabou…. Dans la lignée de notre premier « bébé de papier » Krrronik. Nous avons beaucoup de projets ! Il nous faut maintenant du temps et de l’énergie pour les mettre tous en œuvre !

  • La maladie a-t-elle renforcé vos liens avec vos proches ?

Gaëlle : En tant qu’adolescente malade, la maladie a plutôt eu l’effet inverse car mes parents étaient assez inquiets et je me sentais légèrement étouffée. Mais ces dernières années, je dois reconnaître que mes proches ont été réellement présents et soutenants. Mes parents, que je remercie pour leur soutien et leur confiance, mais également mon amoureux de l’époque qui est aujourd’hui devenu mon mari et qui fait du mieux qu’il peut face à mes crises. Le quotidien d’une personne malade n’est pas évident à vivre pour des accompagnants, je le réalise amplement aujourd’hui…

Anabelle : Je pense que je n’ai pas assez de recul sur la question, ayant été diagnostiquée seulement au cours de l’année 2020, et avec les conditions particulières liées au Covid… Il me semble qu’il est difficile pour mon entourage de comprendre ma maladie, puisqu’elle est invisible. Certaines personnes sont très présentes pour moi (merci… je vous aime !!), d’autres moins. Mais je pense aussi que ce genre de situations renvoie des choses aux gens qui n’appartiennent pas à la personne malade, et qui pourtant ont un impact sur les liens entre elles.

  • Quel conseil donneriez-vous à un patient ?

Gaëlle : deux conseils que je pourrais donner à un patient :

  • Se faire confiance… Même si certains jours la confiance est dure à trouver, il ne faut jamais abandonner et croire en soi. Le corps médical n’a pas toujours les réponses, ce qui peut fortement décourager, mais l’être humain a une force exceptionnelle qui vit en lui. A chacun et chacune d’entre nous de puiser en elle… ;
  • Accepter l’aide d’un prochain, et arriver à demander de l’aide. Cela peut être difficile, car cela nous renvoie souvent à un sentiment de faiblesse, mais lorsque nous arrivons à le faire nous en sortons plus fort.

Anabelle : Avant tout de s’écouter. Personne n’est dans notre corps, nous sommes les seuls à pouvoir comprendre et exprimer ce qu’il s’y passe ! Médecins, entourage, collègues… Ils ne savent pas, et n’ont pas le droit de nier nos douleurs, nos souffrances !

  • Un message à la communauté WAP ?

Gaëlle : Nous avons créé notre album « Krrronik – la mystérieuse Mal-à-Partout » avant tout pour aider des parents en souffrance, qui ne savent pas ou cherchent un outil pour mieux parler de leurs douleurs et de leur quotidien de malade chronique avec leurs enfants. Mais nous avons également voulu en faire un outil de sensibilisation du public, pour montrer que même si nos maladies sont invisibles elles n’en demeurent pas moins réelles et vécues au plus profond de nos êtres… Alors n’hésitez pas, allez voir notre site internet et notre album, et parlez-en autour de vous !


Anabelle : Et puis courage ! Solidarité ! Cœur avec les doigts ! Comment ça je m’égare ? Non, plus sérieusement, j’aimerais rappeler à toutes les personnes malades et/ou en situation de handicap la force qu’elles ont quelque part en elles… Et de s’y accrocher les jours où tout va mal… Pour mieux profiter des temps d’accalmie.